Il y a quelques semaines, lors d’une rencontre dans un stage de développement personnel, ma voisine de chambrée me demandait quel était mon métier en ajoutant : « c’est forcément dans le relationnel, ça ne peut toucher qu’aux relations, tu as un truc pour ça ». Avec un sourire, je lui répondis que oui, mon métier consiste bel et bien à entrer en relation et aussi à créer les conditions favorables à l’apprentissage ou à l’émergence d’idées pour soi ou pour un collectif.

Cette remarque m’a trotté en tête et je me suis questionnée sur ma conception de la relation à l’autre dans mon métier. Cela m’a amenée à effectuer une rétrospective sur les quinze années passées depuis mon entrée en entreprise jusqu’à ce jour, afin de comprendre en quoi les propos de ma colocataire temporaire m’avaient tant touchée.

Les sciences humaines mènent à tout

Je me questionnais beaucoup sur mon avenir professionnel lorsque les choix en matière d’orientation se posèrent dans mon cursus scolaire. Je fis presque des non-choix en maintenant le plus longtemps possible un cursus généraliste qui me mena aux Sciences Humaines. Je choisis d’étudier l’Histoire parce que cela parlait des Hommes, de leurs idées, de leur évolution, de leurs us, de leurs coutumes, d’Art, d’architecture, de sciences, de littérature… Bref, de quoi nourrir ma curiosité sur la nature humaine.

Et lorsque je m’engageai dans une carrière bancaire à l’issue de mon diplôme universitaire, je me dis que j’allais apprendre et que surtout, j’allais rencontrer des vraies personnes et pouvoir les aider depuis la place que j’occupais. Je me rappelle les pères de famille qui demandaient 10€ pour acheter du lait en poudre alors que leur compte était vide le 10 du mois, des entrepreneurs qui ne savaient plus comment payer leurs cotisations, des mères de famille inquiètent pour leurs jeunes et qui effectuaient des virements en douce pour leur permettre de manger, des artisans qui ne savaient plus comment payer leurs fournitures alors qu’eux-mêmes n’étaient pas payés… J’ai souffert.

Je souffrais car là où je me situais je ne pouvais en réalité pas agir pour eux. Je souffrais car involontairement, je résonnais avec eux, par un mécanisme quasi inconscient, leurs histoires devenaient les miennes, elles résonnaient en moi et je me faisait happer. J’étais en sympathie pour ces hommes et ces femmes et je ne pouvais plus supporter d’être spectatrice de cette souffrance sans pouvoir les aider et surtout sans comprendre comment les aider.  

Il y a dix ans maintenant, je décidai de changer d’univers professionnel et après l’identification de mes compétences acquises, j’explorai les planètes sur lesquelles mes compétences auraient l’occasion de s’exprimer. Je me rappelle à quel point à cette période, la qualité de l’écoute apportée par mon accompagnant était déterminante dans ma capacité à dire « oui, c’est bien ça, c’est là que je veux diriger mes pas ». Et étrangement, c’est à ce moment-là que je déterminai mon souhait de moi aussi permettre à chacun de se dire oui, d’accompagner l’autre à se dire oui.

J’entamai donc un parcours, très conceptuel, au sein d’une formation pour adultes qui me permettrait de développer mes compétences en écoute, en techniques d’entretien, en analyse de besoins et autres… Autant d’outils, parfaitement formalisés, qui devaient me permettre de créer les conditions favorables à ce que mon interlocuteur se donne un grand « oui ».

Le premier choc au cours de ces explorations fut la rencontre avec Carl Rogers. L’approche centrée sur la personne et la posture du thérapeute qu’il conceptualisa agirent comme un révélateur profond sur le jeu qui se déroule dans l’invisible entre deux personnes en relation. La considération positive inconditionnelle me marqua fortement avec cet adage que je suis en mesure d’accueillir l’autre comme mon égal, avec bienveillance, quelque soit son problème. Le préalable à cet accueil de l’autre est l’accueil de soi et le concept de congruence me sauta également à l’esprit tant l’évidence que l’accueil de mes propres émotions et réactions était problématique pour moi.

Tendance numéro 1 : la sympathie

Il fallut attendre encore quelques temps et la rencontre avec Marshall Rosenberg et la Communication Non Violente pour comprendre que ce qui se jouait alors en moi relevait de la sympathie. Cette notion qui d’un point de vue purement étymologique me dit que je « souffre avec » l’autre était tellement présente chez moi ! J’aime cette image des cordes sympathiques en musique qui vibrent par l’action de la corde voisine. Comme si l’on jouait sur la corde sensible. Et effectivement dans ma posture d’accompagnante alors, lorsque l’autre jouait sa partition, sur son instrument, c’était comme si j’étais cet autre et cet instrument à la fois, je n’étais plus chez moi mais chez lui.

 Comment accompagner l’autre alors que moi-même j’étais affecté ? Cette fameuse phrase-écueil de « je te comprends tellement, c’est exactement pareil pour moi » qui perd le thérapeute ou l’accompagnant dans les méandres des problèmes des autres… ! Si lorsque j’entends la souffrance de l’autre, que je m’aperçois qu’elle résonne en moi et que je ressens profondément de la tristesse ou de la colère parce que c’est le sentiment qui m’est décrit ou que la situation me réagir face à ma propre réalité alors je ne suis plus sur ma planète mais je suis propulsé involontairement sur la planète de l’autre.

C’est ce « involontairement » qui pose question et qui déséquilibre la relation. La sympathie est une réaction face à l’autre. Que faire ?… Appeler SOS CNV peut-être… !

Tendance numéro 2 : l’auto-empathie

Alors que l’on croit que la Communication non violente (CNV) est un outil de communication avec l’autre, il s’agit avant tout d’un processus qui permet de rentrer chez soi. Combien de fois suis-je sorti d’un entretien en étant complètement bouleversée sans comprendre que le plus difficile dans la situation était d’avoir été propulsée sur la planète de l’autre sans avoir planifier mon voyage. Pour savoir où l’on va, il s’agit de savoir avant tout d’où l’on part. C’est là que l’outil de la CNV me permet de revenir chez moi. D’abord l’observation objective me permet de me dire : à quel moment ce que j’ai entendu m’a, vécu, senti, observé m’a fait basculer en sympathie ? Et puis comment nommer cette émotion qui me tenait alors. Se pose alors la question : est-ce que je suis toujours chez moi ou bien suis-je chez l’autre ? Cette émotion est-elle la mienne ou bien celle de l’autre ?

Et si ce n’est pas la mienne, de quoi ai-je besoin pour revenir à la maison ? Cette expression illustre parfaitement pour moi cette tendance que j’ai parfois dans ma posture d’accompagnant à tellement vouloir aider l’autre que je quitte ma place. Mais je ne suis pas là pour l’aider, je suis là pour accompagner. Et charité bien ordonnée commençant par soi-même, il s’agit de s’accompagner soi-même pour commencer.

Alors commence le cheminement personnel qui permet à chacun d’identifier ses valeurs, ses émotions dominantes, ses besoins fondamentaux, ses réactions disproportionnées récurrentes, ses petites voix, ses tendances, ses comportements-refuge… Une vaste cartographie de la planète Moi !!! Quel chemin fascinant… L’espace d’un « je » bienveillant qui me permet de savoir où je suis. Qui regarde à l’extérieur rêve, qui regarde à l’intérieur s’éveille. C’est grâce à l’auro-empathie et la capacité que j’ai développée à être en contact avec moi-même que je suis sortie du rêve qui me disait que je pouvais accompagner l’autre ; en réalité, je ne peux que l’accompagner à s’accompagner lui-même.

Tendance numéro 3 : l’empathie

Le levier de l’empathie est un fondement de la communication non violente utilisée dans la relation d’accompagnement. Il s’agit de créer les conditions favorables à l’émergence d’un oui. L’accompagnant par une démarche volontaire se met à l’écoute de l’autre, l’accueille et créé comme un hamac de bienveillance pour que l’autre se dépose et se sente suffisamment en confiance pour accueillir lui aussi ses émotions, identifie ses besoins et trouve lui-même ses réponses, ses solutions, ses stratégies en fonction de ce qui se passe pour lui. Et non en fonction de ce que l’accompagnant reflète comme miroir déformant par le prisme de sa sympathie…

C’est donc un acte volontaire que de se mettre à l’écoute, que de créer un espace dans lequel « tu » est accueilli avec bienveillance et confiance, en présence et en pleine conscience de ce qui se joue chez moi, en tant qu’accompagnant. Par accompagnant, je précise que je pense à quiconque se met au service de la relation : manager, ami, soignant, parent, amant, thérapeute, coach, formateur, consultant… Tous les cas de figure dans lesquels je me mets en disponibilité pour construire la relation, pour la faire avancer, pour permettre de créer les conditions favorables à l’émergence de soi.

Ainsi aujourd’hui, je suis persuadée qu’il est fondamental d’activer les leviers de l’empathie en pratiquant l’auto-empathie qui nous protège de la sympathie dans la relation d’aide et d’accompagnant mais aussi dans nos relations au quotidien. Les effets que produisent cette démarche montrent non seulement plus de sérénité car quand je suis chez moi, je sais où je suis ; mais aussi cette démarche tend à construire des relations harmonieuses, simples et fluides avec notre entourage. C’est donc là une voie qui me rassure pour l’avenir. Et lorsque je sens un avis de tempête, je jette un œil à mon baromètre de l’empathie et j’attends que le vent tourne pour mettre à l’écoute de moi puis de l’autre et je sais que le soleil se lève toujours à l’est.